L’Enquête du Comptoir de la nouvelle entreprise (Malakoff Médéric Humanis) sur le télétravail en France vient d’être publiée le 20 février 2019. L’intégralité des résultats est disponible en 38 diapositives (dont 30 de résultats).
Cette enquête a été menée en ligne auprès d’un échantillon de 1604 salariés (dont 581 managers), représentatif de la population active française salariée du secteur privé, travaillant dans des entreprises d’au moins 10 salariés. Pour ceux curieux d’avoir un état du télétravail dans la Fonction Publique, un rapport fort bien bâti (mais quelque peu démoralisant) a été publié il y a peu (voir notre post à ce sujet).
Nous avons déjà analysé en première partie les grandes lignes de cette enquête Malakoff Médéric Humanis et nous avons aussi commenté les résultats des regards croisés entre dirigeants et salariés télétravaillant dans une seconde partie.
Après un bref retour sur l’opinion des dirigeants en lien avec ce qui peut créer une certaine difficulté pour les managers. Nous nous intéresserons ensuite à l’avis des managers de télétravailleurs.
Les freins au télétravail selon les dirigeants
Revenons rapidement sur l’opinion des dirigeants sur les freins à la mise en place du télétravail. Le frein quasi unique selon les dirigeants (diapositive 21 de l’enquête) est que « le secteur ou les métiers ne permettent pas ce type de travail à distance ». En effet, on imagine mal un sidérurgiste, un vendeur en magasin, un poste industriel sans travail administratif pourvoir exercer une partie de son activité à distance.
Ce point est mentionné comme frein par 93% des dirigeants. C’est le seul sujet qui est cité par plus de 20% de cette population. Si on en croit cette enquête et qu’on considère 13% comme étant quasi négligeable, on pourrait considérer qu’il n’y a, selon les hommes qui décident au sein des entreprises, qu’un seul frein réel au télétravail.
Le point suivant, légitime également, n’est donc mentionné que par 13% des dirigeants interrogés (sept fois moins que le précédent, quand même) : « La perte du lien social au travail, de l’esprit d’équipe et le risque d’isolement », le frein cité en troisième position n’est mentionné qu’à 8% et introduit le sujet que nous allons traiter : « Les difficultés à manager des collaborateurs à distance ». Les dirigeants ne considèrent donc pas à 87% le management d’un télétravailleur comme un problème.
Quand on regarde l’avis des managers, cet avis des dirigeants est clairement en décalage par rapport aux besoins d’adaptations des pratiques managériales qu’exige le télétravail. Il est en effet difficile de croire que toutes les entreprises sont si bien sélectionné, formé, accompagné les managers qu’ils connaissent et pratiquent tous avec virtuosité les différents profils de management adaptés, exercent un leadership éclairé, agile et bienveillant basé sur la confiance réciproque.
Regardons donc de plus près le retour des managers. Le décalage entre la perception des dirigeants et celle des managers semblant pouvoir être une source de progrès dans l’approche du télétravail en entreprise.
Le point de vue des managers
Le premier constat est que 55% des managers sont favorables au télétravail, ce qui est une majorité, mais de peu. Ces 55% cachent cependant deux réalités : si les managers encadrent déjà des télétravailleurs, ils sont favorables à 83% à cette disposition (diapositive 24). S’ils n’encadrent pas de télétravailleur, ils sont favorables à seulement 45%. Donc le télétravail fait la quasi-unanimité qu’auprès des managers qui en ont l’expérience. Sinon, le télétravail fait (un peu) peur.
Il serait d’ailleurs intéressant d’avoir une catégorie de managers qui n’encadrent pas de télétravailleur, mais qui travaillent à distance avec une partie de leur équipe. Si cette catégorisation existait dans l’enquête, elle ferait probablement ressortir là aussi une différence de perception de ces deux sous-populations. Ceux qui ont l’expérience du management à distance devraient être OK avec le télétravail de façon plus prononcé que ceux qui ont toujours seulement exercé un management de proximité.
La diapositive 26 nous en apprend plus sur la perception des impacts du télétravail sur l’entreprise. On note immédiatement que de très nombreux domaines mériteraient -idéalement- d’être revisités pour une expérience de qualité avec le télétravail.
La première demande des managers est de bénéficier d’accompagnement. Les managers perçoivent, en effet, les changements que la situation de télétravail impose et désirent à une large majorité être formés. Malheureusement (diapositive 24) ce vœu est loin d’être exaucé puisque seulement 31% des managers reçoivent une formation ou un accompagnement lors de la mise en place du télétravail.
Un tel décalage a le mérite d’être en phase avec l’avis des dirigeants qui, comme nous l’avons vu, sont seulement 8% à penser que manager des salariés à distance présentent des difficultés. Les entreprises sont donc nombreuses à passer à coté de l’opportunité offerte par le télétravail de dynamiser et moderniser les façons de travailler en entreprise. Le taux de questionnement des managers sur les méthodes et les relations, montre que l’on touche à de nombreux fondamentaux de la relation humaine en entreprise et que ce déclencheur est une grande source d’opportunités en entreprise.
Regardons les avantages et inconvénients du télétravail selon les managers. L’enquête, fort à propos, sépare deux populations (les managers favorables et ceux défavorables au télétravail).
Bénéfices
Les managers favorables au télétravail sont … très favorables au télétravail. Ils trouvent cinq vertus à ce mode de travail de façon très majoritaire. Le groupe de ceux qui sont défavorables sont néanmoins aux environ de la moitié à trouver les mêmes avantages. Ces cinq points sont des sujets importants de performance au sein de l’entreprise et devraient intéresser tous les acteurs. Le point le plus différentiant entre les managers favorables et ceux qui ne le sont pas est l’efficacité au travail. Ce point aurait mérité d’être creusé. En effet, on parle toujours, avec raison, d’une plus grande efficacité (à court terme car au détriment des interactions) en situation de télétravail. Mais les managers défavorables sont très sceptiques sur un accroissement général de l’efficacité grâce au télétravail. C’est donc un des points à travailler lors de la mise en place en entreprise.
Inconvénients
Les inconvénients montrent beaucoup moins de déviations entre les deux groupes que ne le font les bénéfices. C’est également un point intéressant à noter car, finalement favorable ou pas, concernant les inconvénients, la vue est assez convergente. Ceci veut dire que chacun anticipe des problèmes, qui restent avec un taux seulement un peu amoindri. La différence en faveur du télétravail se fait, en réalité sur une meilleure perception des avantages.
On trouve dans la liste des inconvénients des remarques et des sujets de formation et sensibilisation supplémentaires. L’enquête, malheureusement, ne différencient pas les managers qui n’ont pas d’expérience du télétravail de ceux qui en ont sur ce point. A ce stade, ces éléments revêtiraient un intérêt certain. Cependant, nous avons vu que les managers encadrant les télétravailleurs sont favorables dans l’ensemble, ce qui donne un « proxy » de cette approche.
De plus, l’enquête consacre un chapitre aux difficultés que rencontrent réellement les managers qui managent des télétravailleurs.
Difficultés
Quelles sont ces difficultés réelles que disent rencontrer les managers ? Parmi ceux dont les équipes télétravaillent, ils ne sont que 18% à en mentionner, ce qui est assez peu. Cependant, les thématiques sont, là aussi extrêmement intéressantes et touchent les sujets de management bienveillant au sein des équipes : juste répartition de la charge de travail, le manque de visibilité, cohésion (et donc fierté d’appartenance), traitement équitable, modes de management sont parmi les sujets cités dans cette catégorie. Ces points sont donc également, probablement à considérer en tête de liste des formations à prodiguer aux encadrants.
Conclusion
L’Enquête du Comptoir de la nouvelle entreprise (Malakoff Médéric Humanis) sur le télétravail, menée par l’IFOP donne une image actualisée et assez complète de la situation du télétravail en France. Cette enquête, très sérieuse, permet de tirer de nombreuses conclusions qui viennent compléter les autres enquêtes récentes que nous avons déjà analysé. Certains points auraient mérité d’être approfondis, mais il est certain que, malgré cela, les résultats publiés contiennent de nombreuses informations.
En résumé, quelles principales leçons peut-on tirer de la lecture des résultats :
Le télétravail reste un mode de travail peu développé en France, surtout sous sa forme contractualisée. On peut penser que la conjonction de la pression sur le prix des carburants, les pics de pollution dans les agglomérations, les perturbations du trafic routier dont on commence à reparler, vont également booster le développement du télétravail dans les années qui viennent.
Les taux de satisfaction des télétravailleurs sont/restent très élevés.
On télétravaille très majoritairement de chez soi et le but principal des télétravailleurs est de réduire le temps de transport.
Les dirigeants et les télétravailleurs voient de nombreux avantages au télétravail dans des domaines très variés. La santé et la sécurité est cependant un point de vigilance récurrent.
Les dirigeants voient peu de freins à la mise en place du télétravail. Cependant, ils ne prennent pas, dans l’ensemble, la juste mesure de l’impact positif ou des leviers d’amélioration que représente le télétravail pour le management des équipes. Les formations des managers sont insuffisantes par rapport à l’enjeu. Les entreprises ne saisissent pas toutes cette opportunité de repenser et optimiser le fonctionnement interne.
Pour les managers qui ont l’expérience du télétravail, celui-ci est très bénéfique. La différence entre les managers favorables ou pas au télétravail se fait principalement sur les avantages, qui montrent un contraste d’opinions assez marqué, et assez peu sur les inconvénients.
Tous ces points expliquent assez bien les statistiques de mise en place du télétravail généralement observées. Les entreprises sont rares à avoir saisi l’opportunité de revoir les fondamentaux des pratiques et de les orienter vers plus d’agilité, de liberté et de bienveillance afin d’obtenir une productivité élevée dans une ambiance porteuse.
C’est un objectif ambitieux, mais atteignable si on s’en donne les moyens. L’enjeu étant tout simplement d’être prêt à la modernité de gestion qui sera exigée par les nouvelles générations sans pour autant laisser les personnes d’expérience, tout aussi indispensables au fonctionnement de l’entreprise, sur le bord de la route.
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