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Google : Qualité de Vie au Travail sans Prévention des Risques ?

Vous avez peut-être remarqué depuis quelques jours le fort intérêt des médias concernant le harcèlement sexuel au sein d’une des entreprises emblématiques des GAFAM : Google. Voici un petit échantillon ici, ici et ici. Ironiquement, on peut utiliser Google Trends (outil Google permettant de voir ce que les internautes demandent sur le moteur de recherche). « Google Walkout » étant le nom donné au mouvement et le hashtag utilisé par les employés de Google pour identifier leur action. On pourra ainsi suivre dans les jours et semaines qui viennent si le mouvement prend de l’ampleur, perdure, ou décline rapidement. #RPS#QVT#Googlewalkout



Le contexte

Tout le monde connait Google, fondé en 1998 (il y a 20 ans 😊 seulement), les outils formidables que l’entreprise met à notre disposition dans de si nombreux domaines (de Google Street à Google Form en passant par Chrome, SketchUp, Android, les Google Trends, le Google car, …), les milliards de bénéfices, qui échappent en grande partie au fisc par des approches d’optimisations fiscales tout aussi créatives semble-t-il. Une capitalisation de $ 793 268 milliards, 50 000 employés à travers le monde. Entreprise au succès planétaire et foudroyant, Google est un exemple cité quasi quotidiennement également pour sa politique de Qualité de Vie au Travail et ses espaces de travail « jeunes et flexibles » décrits comme idéaux pour les « millénnials ». Si vous n’avez pas idée de quoi il est question, vous pouvez visionner une partie de cette vidéo ou l’une des nombreuses photos que l’on trouve sur internet voire les sites web de recrutement de Google(par exemple Zurich ici).

Vous trouverez un résumé de la stratégie Qualité de Vie au Travail de Google sur Wikipédia sous le chapitre « nouvelle forme de travail » dont voici un passage :

« Google entend fonctionner avec une hiérarchie légère et peu contraignante. ... Le Googleplex, siège de l'entreprise, comporte des salles de repos, des salles de billard, des terrains de sport, une piscine, un service de massage ou de coiffure. Les employés sont autorisés à amener leur chien, mais pas leur chat, au Googleplex.

Cette politique de bien-être a pour objectif de générer une plus grande motivation et, en conséquence, une productivité accrue »

Voilà donc pour le moins un modèle dont les entreprises rêvent aujourd’hui, même si ça sonne un peu trop parfait… et simple. A la fois, la politique, les espaces de travail, et le concept de « campus » font clairement envie. Ça a de quoi faire réfléchir les entreprises de la « vieille économie », aussi bien que les startups innovantes qui voudraient volontiers se « googlifier ». Il faut avouer qu’au niveau innovation business, on comprend, car il n’y a pas grand-chose à reprocher aux résultats de Google en innovation à la date.



Tout va vraiment pour le mieux ?

Le New York Times a publié le 25 octobre un article sur Andy Rubin “How Google Protected Andy Rubin, the ‘Father of Android’” dénonçant dans une première partie le fait qu’Andy Rubin est parti de Google en bon terme et avec un package de $90 millions (étalé quand même avec 2 millions par mois pendant 4 ans !). A noter que Google a également financé l’entreprise qu’il a fondé par la suite (montant non précisé).

Le problème de fond est qu’Andy Rubin est accusé par une employée de Google de l’avoir obligée à une « relation sexuelle contrainte » avec lui dans un hôtel. Andy Rubin nie et relie l’affaire à son divorce en cours selon les déclarations qu’il a faites. Vu le nombre de personnes interrogées par le journal invoquant une clause de confidentialité, on peut se dire que le service juridique de Google n’est pas non plus composé d’amateurs. De son coté, Eileen Naughton, vice-présidente de Google chargée des people operations (RH), a déclaré dans un communiqué que la société prend le harcèlement au sérieux et examine toutes les plaintes. OK, donc, un incident isolé, c’est tout. Ça peut arriver à n’importe quelle entreprise d’avoir potentiellement un pervers narcissique dans le « top management ». Le choix d’accompagner avec des millions la sortie d’Andy Rubin peut être due à un manque de preuve ou un élément que nous ne connaitrons jamais de ce dossier. Bref, pas de quoi faire trembler les murs, peut-on penser. Sauf que…

Le second couac vient d’une déclaration de Google après la publication de l’article original exposant la situation. Selon le New York Times, Sundar Pichai, directeur général de Google, et Eileen Naughton ont écrit à leurs employés que l'entreprise avait licencié 48 personnes pour harcèlement sexuel au cours des deux dernières années et qu'aucune d'entre elles n'avait reçu de prime de licenciement. En fait, cette affirmation semble en décalage avec les faits décrits pour Andy Rubin et surtout par rapport au vécu des employé(e)s dans la frime de la Silicon Valley.

Il y a plusieurs raisons à ce sentiment. Il faut dire que la culture d’origine de Google pouvait être qualifiée de « permissive ». En effet, des voix s’élèvent chez Google pour se plaindre de comportements inappropriés (voir plus loin) au sein de l’entreprise. Les journalistes ajoutent également à leur article une liste de relations plus ou moins consenties, qui peuvent donner une impression de manque d’exemplarité au sein de la firme au plus haut niveau. Sont cités pêlemêle des choses assez différentes, mais voici ce qui est mentionné par le New York Times:

  • Page (co-fondateur) et Mayer (future patronne de Yahoo) : tous les deux étant célibataires à l’époque des faits.

  • Schmidt (précédent DG) et une femme qu’il a fait embaucher en tant que consultante par Google.

  • Brin (co-fondateur) a eu une aventure avec une employée en 2014 alors qu’il était marié.

  • Drummond membre du Board (legal) et Blakely du service juridique.

  • Devault (Directeur Google X) sur une affaire de propositions durant un processus d’entretien d’embauche.

  • Singhal (senior vice-président) pour une soirée un peu trop arrosée avec une accusation de harcèlement à la clef.

Ces personnes sont soit toujours en poste, soit semblent avoir bénéficié de compensations importantes en échange de leur départ « en bons termes ». Le cas Rubin semble donc moins exceptionnel avec cet éclairage.

Tout ceci fait désordre auprès des employés de Google, non seulement à cause des faits eux-mêmes, mais de l’iniquité de traitement. En effet, l’autre reproche que les salarié(e)s mettent en avant est que lorsque Google licencie des employés de « niveau inférieur », ils sont accompagnés immédiatement hors de l’entreprise et ils ne reçoivent que peu, voire aucune indemnité de départ alors qu’ils ne sont pas, eux, soupçonnés de harcèlement. Mais pour les cadres du top management, dans les circonstances décrites, cela semble être une autre histoire.

Si on peut questionner la problématique réelle de certaines des situations évoquées, qui ne regarde, finalement que des adultes s’ils sont consentants (assumant aussi l’absence de favoritisme), d’autres sont clairement inacceptables et répréhensibles. Malgré cela, les employé(e)s de Google découvrent que ces affaires sont réglées à coup de millions « entre gentlemen » quand le niveau le mérite.


Conséquences

On retrouve ici un schéma sur lequel il aurait été capital de construire un édifice solide. Le tsunami déclenché au sein de Google par cet article est relaté par une autre tribune du New York Times parue le 31 octobre (1 500 personnes prévues). Le 1er novembre 3 000 employés ont effectivement défilé à New York ainsi qu’à Singapour, Hyderabad (en Inde), Berlin, Zurich, Londres, Chicago, Dublin et Seattle. Au total, les organisateurs parlent de 20 000 participants le vendredi 2 novembre, ce qui représente 40% des employés de Google. Le site des organisateurs parle même de 60% des salariés ayant défilé pour protester dans le monde.



Cependant, cela ne semble pas s’arrêter là. En effet, outre le souci flagrant d’exemplarité et d’iniquité mentionné, le harcèlement généralisé au sein de la firme se retrouve au centre des débats. Ainsi, Meredith Whittaker, une employée de Google qui a aidé à organiser le débrayage à New York a déclaré « Je suis ici parce que ce que vous lisez dans le New York Times ne représente qu'un échantillon des milliers d'histoires que nous avons tous vécu. ». Si cela est exact, et pas le fruit d’une déformation de la réalité, le modèle de Qualité de Vie au Travail de Google est pour le moins mis à mal.


Conclusion

Quelle leçon tirer de cette situation ?

Google a de l’argent, beaucoup d’argent actuellement. Google semble traiter ses meilleurs talents comme des joueurs de football à qui on pardonne presque tout parce qu’ils sont divins sur un terrain et qu’ils font gagner des millions en remplissant les stades… Même s’ils ont un comportement inacceptable hors du stade.

Ce type d’iniquité, pratiqué au sein d’une entreprise, est difficilement tolérable par les personnes qui n’en bénéficient pas. Et elles sont, par construction, forcément nombreuses. C’est d’autant plus embêtant dans une société qui se veut à la pointe du bien-être en entreprise.

Si les accusations de Meredith Whittaker s’avèrent exactes, le dossier est encore plus sensible et Google se devra d’adresser réellement ces « milliers d'histoires » dont elle parle.

On voit bien qu’actuellement, les salles de repos, vélos de couleur, salles de billard, terrains de sport, murs d’escalade, piscine, service de massage ou de coiffure, ne pèsent pas lourd. Le New York Times vient de mettre en lumière des choses beaucoup plus primordiales, vitales, pour les salarié(e)s d’une entreprise : l’équité et l’exemplarité. Le sentiment de beaucoup de salarié(e)s est que ces valeurs universelles sont bafouées. Si de plus le harcèlement est réellement une pratique aussi répandue au sein de l’entreprise que décrite par certain(e)s, le cocktail peut être explosif.

C’est une illustration « grandeur nature » qu’une politique réelle de prévention des Risques Psycho Sociaux, comme nous l’avons vu, est un prérequis à la mise en place d’une politique crédible, solide et pérenne de Qualité de Vie au travail. Le dirigeant averti gardera toujours un œil sur la prévention et l’exemplarité. Une erreur d’appréciation peut faire s’effondrer tout le château de cartes de la Qualité de Vie au travail bâti sur les valeurs défendues par la politique de prévention.

Google semble avoir une politique anti-harcèlement publique solide sur le papier au moins pendant ses évènementiels, mais pourrait avoir laissé des trous dans la raquette de la prévention s’institutionnaliser dans l’entreprise. Cela génère aujourd’hui un accident de parcours significatif pour cette grande et jeune entreprise. Cette situation affectera au moins sa réputation temporairement. L’avenir nous dira si Google subira des conséquences plus lourdes ou si la firme est capable de s’en sortir la tête haute. Quoiqu’il en soit, ce sera une leçon à retenir et méditer.

Merci.

Image Pixabay (Titre & Ordi) et RawPixel. Screenshot Google Trends.

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