La peur est une des émotions que l'on rencontre souvent en entreprise. Peur de perdre son travail, peur d'une restructuration, peur de ne pas savoir faire, de ne pas être à la hauteur, peur face à un manager très directif voire brutal, peur du regard des collègues, ... les occasions ne manquent pas. Justifiée ou pas, la peur est présente en entreprise. D'ailleurs, même s'il est encore des gens qui ne veulent aucune émotion au sein des sociétés, est-ce tout simplement possible? Clairement pas, ni même souhaitable. Car contrairement à ce que beaucoup croient, les émotions, si elles ont longtemps été indispensables à notre survie, ont toujours été d'excellentes alliées pour peu qu'on se donne la peine de les comprendre et de les amadouer. Citons dans ce sens deux études relativement récentes.
En 1996 (voir résumé ici) dans une entreprise mondiale de produits alimentaires, le psychologue David McClelland (fondateur du cabinet de conseil en management Hay-McBer devenu aujourd'hui Hay Group) rapporte que lorsque les cadres supérieurs disposaient d’une « masse critique » d’intelligence émotionnelle, le service qu’ils dirigeaient surpassaient de 20% les objectifs de gains annuels.
En 2001, Jane Henri constate que l’intellect (QI) est clairement un facteur de performance en entreprise pour les top managers. Cependant, en calculant le rapport entre, les connaissances techniques, le QI, et l’intelligence émotionnelle (QE) comme source de performance exceptionnelle, le QE est deux fois plus important que les autres facteurs pour les postes à n’importe quel niveau de l’entreprise. De plus, ce poids augmente avec le niveau hiérarchique au sein de l’entreprise (principalement au dépend des connaissances techniques) et la différence entre un excellent manager et un manager moyen peut venir jusqu’à 90% du QE.
Il est donc intéressant de s'intéresser à ces mécanismes, même si (surtout si ...) on a une tête bien faite et des connaissances techniques importantes.
Concernant la peur, d'imminent chercheurs comme Joseph Ledoux se sont penchés sur cette émotion riche en enseignement sur le fonctionnement et le rôle des émotions en général. D'imminents vulgarisateurs comme Daniel Goleman (1995) se sont employés à faire connaitre ces travaux au-delà des cercles scientifiques en reprenant des concepts plus larges d'intelligence émotionnelle initialement introduits par Peter Salovey et John Mayer (1990). De non moins imminents psychologues expliquent aujourd'hui avec brio l'importance de la connaissance de ce domaine qui font tant débat dans les entreprises autour du thème des "soft skills". Il n'y a donc plus aucune raison de vivre dans le paradoxe d'avoir peur 😨 de ses émotions et de celles des autres😁.
Le manager bienveillant sera de toute manière intéressé par ces sujets au centre du développement du savoir-être. Car pour être efficace dans le leadership qu'il/elle cherche à exercer, on peut, comme dans beaucoup de domaines être intuitif... Mais comprendre le fonctionnement grossier des émotions, leur utilité, et leurs conséquences peut s'avérer très enrichissant et un atout à posséder dans le spectre des compétences managériales modernes.
Regardons ce qui se passe dans le cas de la peur lors d'une menace physique. La peur est une émotion qu'on ressent au contact d'une menace soudaine, quelle qu'elle soit. La peur peut être intense ou moins forte, mais le corps va se figer de manière quasi instantanée. Ce mécanisme "automatique" est un atout considérable à la fois par sa vitesse d'exécution et l'avantage qu'il nous conférait à l'époque où nous étions chasseurs, pêcheurs, cueilleurs dans un monde hostile et dangereux. C'est ainsi que la sélection naturelle a favorisé, pendant plusieurs millions d'années (65 selon certains), de tels mécanismes chez certains animaux et que nous avons la chance de les posséder également.
La peur déclenche donc une première réaction d'immobilisation. Cette phase d'immobilisation est suivi d'un mécanisme de défense performant, comme nous allons le voir. A la suite de cette réaction immédiate, en fonction de la personne et de la situation, il y a trois réactions pour lesquelles nous sommes programmés: rester figé, prendre la fuite ou combattre (voir ci-dessous). Pour fuir rapidement ou combattre efficacement (la colère peut alors venir aussi nous prêter aussi main forte), la nature nous a doté d'un mode "Superman ou Superwoman" des plus intéressant. On peut rester immobile pour laisser passer la menace, fuir parce qu'elle nous semble ingérable ou se mettre en mode "combat" parce qu'il nous semble que nous sommes de taille à l'affronter (ou que nous sommes acculé). Vous pouvez bien sûr appliquer cette même approche y compris pour des personnes qui ont peur de prendre l'avion, ou avant une présentation quand on n'aime pas s'exprimer en public.
Mais voyons ce qui se passe dans notre tête et notre corps. Un mécanisme complexe que les travaux de Joseph Ledoux ont éclairé d'une lumière passionnante va se dérouler. Il est résumé dans le schéma suivant que je ne vais pas détailler. Il faut simplement retenir que le message d'alerte va se séparer en deux circuits: un "signal éclair" (circuit court) qui va nous immobiliser et déclencher notre mécanisme de défense. Parce qu'il est rapide, ce signal est grossier, imprécis. Il dit juste "stop! danger!", mais ce n'était peut-être qu'une ombre que vous avez vu du coin de l’œil et pas un réel danger. Certes, mais c'est ainsi que fonctionne la peur. Au fond "avoir peur pour rien" dans un monde dangereux peut être salvateur: un écureuil est rarement mort d'avoir eu peur pour rien, mais il peut être mort de n'avoir pas eu peur à bon escient. Cela nous pousse à un biais connu qui favorise les émotions négatives "au cas où..."! Ce n'est pas forcément un avantage dans le monde moderne surtout si la réponse est inappropriée. C'est une des raisons que de nombreuses personnes craignent les émotions.
Vous voyez en bas à droite du schéma que le cerveau, à travers le tronc cérébral, fait se déclencher dans le corps une série de réactions "en chaine" rapide et extrêmement efficace. On constatera "tu es pâle", "tu as les yeux grands ouverts", "on dirait que tu transpires". Oui, parce que le cerveau a transmis le message "Danger de mort! Il faut te préparer!" au corps. Ainsi chacune de nos fonctions passe en mode "fuite ou combat". Chaque chose que l'on observe (et même plus...) d'une personne qui a peur a pour objectif de nous donner un énorme coup de pouce pour que nous soyons capable de réagir... et de survivre. Cela a également une autre fonction triviale: en voyant quelqu'un qui a peur, les signes visibles nous mettent aussi immédiatement en alerte. Chacune de ces conséquences est expliquée ci-dessous.
Heureusement la phase d'évaluation rationnelle qui suit (plus lente à être "accouchée" par le cortex cérébral) peut venir tempérer voire complètement calmer le jeu: "ce n'est rien", ou alors avec un peu de recul se dire qu'on n'est pas obligé de fuir ou de combattre, mais qu'on peut discuter. C'est utile dans notre environnement actuel 😃, pas avec un ours ou un rhinocéros qui vous fonce dessus. Mais pour ça, il faut savoir reprendre le contrôle une fois passé ce choc. Pour cela, il faut savoir placer un nom sur l'émotion que l'on a ressenti, l’accepter et l'exprimer de manière constructive et acceptable également pour les autres.
La peur est donc une émotion extrêmement importante parmi les autres. Elle a contribué, avec ces autres émotions, à permettre à notre espèce de traverser les âges et contribue encore à notre équilibre. Bien utilisée, elle nous aide, comme toutes les émotions à faire un premier tri, à ne pas être "inconscient", à nous fixer des limites, ... quand on l'utilise à bon escient et qu'on est en contact avec ses propres émotions. La peur de l'échec peut également servir, bien dosée et maitrisée, à nous fournir le surplus d'énergie nécessaire pour finir dans les temps un rapport ou un projet.
Par contre, comme cette émotion nous donne de l’énergie, et qu'elle se déclenche pour nous faire réagir vite et fort, elle nous consume sur le long terme: notre corps n'est pas fait pour vivre en permanence avec ce mode "Superman ou Superwoman". Ne dit-on pas qu'on est "rongé par la peur" ou "rongé par la colère"? Tout simplement parce qu'avec la durée, ou la répétition c'est ce qui arrive: notre corps n'en peut plus d'être en alerte permanente.
Conclusion
Bien entendu, il existe nombre de théories et d'approches, toutes plus intéressantes les unes que les autres sur les émotions, leur utilité, les fonctionnements. Certaines de ces théories sont simples, d'autres complexes. L'important à retenir est que les émotions sont partout. Elles sont nos meilleures alliées depuis la nuit de temps. Le monde moderne demande une adaptation et exige un effort de compréhension. Si vous doutez encore de l'apport des émotions dans votre propre vie, demandez -vous si vous avez été uniquement rationnel la dernière fois que vous avez voté. Avez vous étudié les programmes de tous les candidats ? Si ce n'est pas le cas, c'est les émotions qui vous ont guidé. Prenez n'importe quel problème de société "un peu" complexe comme le changement climatique. Votre position sur ce sujet est principalement émotionnel et probablement pas (sauf si vous êtes membre du GIEC) technique et rationnelle. Raison de plus pour nous intéresser à ces sujets pour en faire un atout de savoir-être au sein de l'entreprise.
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