L’attrait actuel pour la Qualité de Vie au Travail, et les nouveaux aménagements d’espaces de travail est indéniable (#QVT). Le but est d’augmenter le bien-être et, par conséquence, la productivité des salariés. Mais comment mesure-t-on donc ces deux états tant recherchés ? Même si tout manager ayant un peu d’intérêt pour ses équipes en est persuadé, existe-t-il vraiment une corrélation prouvée entre bien être et productivité pour des activités de type tertiaire (bureaux) ?
Il existe deux types de réponses : une réponse économique, dont nous avons décrit les limites (ici et ici) et nous avons vu que concernant les espaces ouverts, des voix s’élèvent aujourd’hui pour alerter sur une baisse plutôt qu’une augmentation de productivité espérée et le fait est qu’il important de mettre les moyens dans de telles approches pour espérer un impact réellement positif.
Pour avoir une réponse quantifiée à la question « une personne heureuse est-elle plus productive ?», il faut lire une publication de 2015 : Oswald, Andrew J. , Proto, Eugenio and Sgroi, Daniel. (2015) Happiness and productivity. Journal of Labor Economics, 33 (4). pp. 789-822. Dont le texte intégral peut être trouvé ici et un résumé ultérieur ici (octobre 2015). Les auteurs ont mené quatre expériences.
Trois expériences pour évaluer le lien bien-être/performance accrue
La première expérience consiste à donner ce que les chercheurs appellent un «choc de bonheur» qui est réalisé en projetant un film comique de 10 minutes (OK, ça se dicute, mais si vous avez mieux, contactez-les 😏)! Une série de questions est ensuite posée afin de vérifier que le "choc" a fonctionné en demandant aux personnes dans quel état d’esprit ils se trouvent. Une échelle de 1 [totalement triste] à 7 [complètement heureux] est utilisée. Et on voit effectivement une différence. Première conclusion (que tous les psychologues connaissent) : rigolez authentiquement, ça fait du bien !
Pour finir le test, une tâche de productivité permet de mesurer mesurer l’effet obtenu. On demande pour cela aux participants de réaliser une série de calculs du genre : 31+56+14+44+87 = ?
Cette tâche peut sembler simple mais elle est éprouvante sous la pression. Cela représente un modèle de travail de bureau qui permet à la fois de s’appuyer sur les capacités intellectuelles « innées » et les efforts consentis.
Cette tâche d’apparence simple permet, selon les auteurs, de mesurer la productivité de trois façons avec les indicateurs suivants:
Le nombre d’additions correctes réalisées,
Le nombre de tentatives de réaliser les additions,
Le pourcentage d’additions correctes réalisées,
La conclusion obtenue est que les personnes plus heureuses ont une productivité supérieure d'environ 12% aux groupes témoin. Les auteurs précisent également que la mesure de la productivité qu’ils ont employée, comme elle permet de distinguer entre productivité provenant de l'effort ou celle provenant de la capacité des personnes, le levier principal de l’augmentation de la productivité observée est liée à un effort accru de la part des participants. Ce n'est pas une surprise, mais quand on va bien, on est plus tenace pour résoudre les problèmes que la vie nous pose. Çà vous parle ?
L’expérience 2 est semblable à l'expérience 1, mais posait également des questions tout au long de l'expérience afin d’évaluer l’évolution du sentiment de bonheur dans le temps. L’expérience 3 est identique à l'expérience 1, mais utilisant une forme différente de « choc à de bonheur » dans le laboratoire. Les résultats de ces expériences confirment ceux de la première.
Une expérience pour évaluer le lien mal-être/performance
Une quatrième expérience étudie l’effet de chocs émotionnels majeurs dans le monde réel (deuil ou maladie familiale) et l'impact que cela aurait sur la productivité de la personne. La tristesse est systématiquement associée avec une productivité plus faible. Cet effet BLE (Bad Life Event) peut durer jusqu’à trois ans selon cette étude. Son impact est négatif et de l’ordre de 10% sur la capacité à résoudre les problèmes soumis.
Conclusion
Les auteurs ont mis en place un protocole permettant de fournir des observations compatibles avec l'existence d'un lien de causalité entre le bien-être humain et la performance humaine.
Dans des conditions « normales », le bien-être nous rend plus productifs du fait que nous sommes plus enclins à consentir des efforts. Le fait de rendre les personnes plus heureuses augmenterait la productivité d'environ 12%. Les personnes malheureuses, dépendant de l’intensité de l’évènement générant la tristesse et du fait qu’il est récent ou pas vont, au contraire, perdre en productivité. Les chercheurs évaluent à 10% cette perte.
Globalement donc, nous aurions une différence de productivité de 20-25% entre une personne triste et une personne en situation de bien-être. Si le résultat ne surprend pas, nous pouvons en tirer deux leçons.
Sur le plan personnel, c'est une leçon de vie. Être triste, avoir peur fait partie de notre vie et suivant ce que nous subissons, c'est bien naturel. Mais rentre alors en jeu un paramètre que nous regarderons dans d'autres articles: la résistance (résilience en anglais) qui fait partie des qualités du modèle promu en particulier par David Richardson (voir par exemple Emotional life of your brain). La résilience est la rapidité avec laquelle une personne est capable de se rétablir après une expérience négative. Vouloir et être capable de se sortir du cercle vicieux de la tristesse est une des clefs du succès qui nous aide à rebondir et à résoudre les problèmes que nous pose immanquablement la vie.
Sur le plan professionnel, c'est la même chose... En plus, en tant qu'employeur, on maitrise l'environnement social et physique du travail. Éradiquer autant que possible les soucis (les Risques Psycho Sociaux) et promouvoir les environnements porteurs (Qualité de Vie au Travail) paye. Cette expérience permet aux entreprises qui ont intuitivement compris l’intérêt d’une authentique politique de prévention des Risques Psycho Sociaux et de développement de la Qualité de Vie au Travail, d’avoir un repère. C'est certain qu'on est loin des 13,62 € de retour sur investissement (voir les articles précédents) pour 1 € investi. Mais qui ne voudrait pas bénéficier de 10 à 20% de productivité supplémentaires au sein d’une entreprise au prix d’efforts naturels permettant de rendre ses salariés « bien dans leur job » ? C’est à la fois humainement louable et économiquement rentable !
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