Le télétravail gagne du terrain et sera un des modes principaux de travail dans un avenir pas si lointain pour de nombreuses raisons. Nous avons attiré l'attention sur la complexité de ce sujet et l'importance de le prendre avec beaucoup de sérieux. L'évolution rapide des différents modes de télétravail ainsi qu'une actualité riche montrent l’intérêt actuel pour cette opportunité en entreprise et dans le secteur public.
Dans la loi définissant et encadrant le télétravail, l’article L1222-10 du code du travail définit certaines des obligations de l’employeur envers le télétravailleur.
Cet article a été modifié par les ordonnances travail et il est intéressant d’en regarder les conséquences. Avant la publication des ordonnances, ce passage du code du travail comportait cinq alinéas provenant de la loi du 22 mars 2012. Le texte se présentait ainsi :
« Outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, l'employeur est tenu à l'égard du salarié en télétravail :
1° De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ;
2° D'informer le salarié de toute restriction à l'usage d'équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;
3° De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;
4° D'organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d'activité du salarié et sa charge de travail ;
5° De fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter. »
Tel qu’il est en vigueur depuis la promulgation des ordonnances travail, cet article du code du travail a été conservé avec exactement le même texte, mais a été amputé des alinéas 1 et 5 (en gras ci-dessus) qui n'existent donc plus.
Regardons donc le traitement de ces deux sujets en commençant par les horaires.
Alinéa 5 : les plages horaires
Définition dans l'accord
La suppression de l’alinéa 5 peut sembler assez anecdotique car ces plages horaires peuvent être fixées de différentes manières et doivent être abordées de toute manière dans l’intérêt des salarié(e)s et de l'employeur. Les entreprises doivent maintenant préciser ce paramètre dans les accords (Article L1222-9 II-4 du code du travail sous une forme légèrement différente "La détermination des plages horaires durant lesquelles l'employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail" ). L'accord permet également d'utiliser le vocabulaire spécifique et adapté à la vie dans l'entreprise.
Ainsi, parmi les accords disponibles signés le plus récemment, on trouve celui de JUNGHEINRICH FRANCE dont l'article 8 stipule simplement "Le télétravail s’adressant aux salariés cadres autonomes, ces derniers disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. Comme lorsqu’ils travaillent à domicile, les salariés en télétravail s’engagent à respecter le temps de repos minimal de 11 heures consécutives entre 2 journées de travail."
Maine et Loire Habitat choisit de se référer simplement à la convention de branche "Le salarié en télétravail doit exercer son activité dans le respect des dispositions conventionnelles en matière de durée du travail. Le télétravail ne doit pas générer d’heures supplémentaires."
Enfin, un dernier exemple signé également en décembre 2018, L’EPIC OFFICE DE TOURISME, adapte aussi le texte à ses pratiques d'entreprise dans l'article 9 de son accord: "Pendant les jours de télétravail, le télétravailleur peut librement organiser son travail sous réserve de respecter les plages horaires de travail figurant sur son planning pendant lesquelles il doit être possible de le joindre. Pendant ces plages horaires, le télétravailleur est tenu de répondre au téléphone, de participer à toutes les réunions téléphoniques ou les vidéoconférences organisées par sa hiérarchie et de consulter sa messagerie."
Si beaucoup répondent à cette obligation "naturelle" ainsi, il ne faut pas oublier le règlement intérieur qui peut être un outil pertinent à cette occasion.
Remarques sur le règlement intérieur
En effet, les entreprises pourraient réfléchir à modifier/étendre leurs règlements intérieurs au télétravail si elles ne l’ont pas fait. Concernant les horaires (plages fixes) ce serait faisable avec un texte du genre « les règles horaires de ce présent règlement intérieur s’applique (ou pas, si l’entreprise désire appliquer une autre règle) aussi bien sur les sites de l’entreprise qu’en situation de télétravail ou de coworking ». Parions qu’avec le passage en 2019 du CE+CHSCT+DP au CSE, ce n’est pas le sujet principal de préoccupation des relations sociales actuellement. Mais ce sera un point à adresser un jour ou l’autre. Le règlement intérieur n’a clairement pas vocation à se substituer à l’accord d’entreprise sur le télétravail, mais quelques mises à jour semblent souhaitables en particulier dans les domaines de la santé, la sécurité et il reste l’outil de référence concernant la discipline.
Dans les années à venir, il sera indispensable que les nouveaux modes de travail soient intelligemment intégrés au sein de documents-clef comme le règlement intérieur. Le but serait de rendre ces derniers polyvalents, sans pour autant qu’ils se complexifient trop afin de rester compréhensibles, utilisables et opposables. Les horaires ne sont pas le seul thème. Que penser des règlements intérieurs qui imposent de ne pas boire d’alcool sur un site de l’entreprise, mais dans lesquels ne figure aucune restriction dans les conditions de télétravail ou de co-working ?
On voit sur un thème aussi simple, l’une des nombreuses implications de l'existence incontournable de nos jours du télétravail. L’obligation de sécurité, par exemple, a été clairement étendue à la situation du télétravailleur actif. Il faut bien réaliser que quand on met le télétravail en place, on délocalise chez le/la salarié(e) un petit bout de l’entreprise. Savoir comment on traite ces sujets peut sembler secondaire quand seulement quelques personnes télétravaillent. Mais avec l’accroissement du nombre de jours de télétravail et de télétravailleurs au sein d'une entreprise, on accroit naturellement, statistiquement l'exposition de ses salarié(e)s à de nouveaux risques qu'il vaut mieux savoir prendre en compte.
Le contrat de travail
Les deux "outils" précédents, sont globaux au sein de l'entreprise, et potentiellement assez lourds à modifier. Ils ont cependant un avantage: l'assurance de l'homogénéité de règles. Une alternative populaire parmi les entreprises est de traiter ce sujet individuellement (ce qui ne veut pas dire que les horaires sont fixés "à la tête du client") au sein d'un avenant au contrat de travail.
Ainsi, parmi les accords les plus récemment signés, L’OPH Logélia Charente, stipule simplement dans l'article 4 de son accord d que "L’avenant au contrat de travail précisera notamment : ... Les plages horaires pendant lesquelles le salarié est joignable par téléphone à son domicile ..."
Autre exemple récent, Grid Solutions, définit, pour le télétravail régulier (voir notre article les différentes façons de télétravailler) " Dans le cadre d’une acceptation, un avenant au contrat de travail pour une durée d'un an sera communiqué par le Responsable Ressources Humaines au salarié dans un délai maximum de 15 jours. Cet avenant précisera notamment : ...Les plages horaires auxquelles le salarié peut être joint conformément aux accords d’établissements..."
OK, mais dans la pratique qui "y gagne"?
Mais revenons aux horaires eux mêmes. Loin des textes, des signatures des engagements et des obligations, quelles sont les pratiques des salari(e)s? Est-ce que l'entreprise y perd de faire confiance à ses employé(e)s ou y gagne. Et les salariés ?
Dans la pratique, sans qu’il n’y ait vraiment d’écrits, il semble que les pratiques en télétravail se décantent. Selon l’excellente étude récente d'Yves Lafargue et Sylvie Fauconnier [OBERGO] « Impacts du télétravail 2018 » publiée mi-2018, les télétravailleurs semblent avoir une tendance globale à utiliser :
Le temps libéré par l’absence de trajet du matin pour travailler plus,Le temps libéré par l’absence de trajet du soir pour avoir plus de temps pour eux-mêmes.
L'inverse étant aussi probablement vrai pour ceux qui sont plutôt "du soir". Sur ce sujet, le rapport « Impacts du télétravail 2018 » précise :
"Les impacts négatifs sont partagés par un moins grand nombre de télétravailleurs [NDLR: que ceux qui mentionnent des impacts positifs] mais sont la confirmation de l’existence du paradoxe du télétravail : « Plus de temps de travail/ Meilleure qualité de vie » :
Augmentation de leur temps de travail : 57% des réponses (temps du trajet du matin « échangé » contre temps de travail) (64% en 2012)Augmentation des coûts personnels liés à l'activité professionnelle : 28% (35% en 2012)Augmentation de la charge de travail ressentie : 15% (22% en 2012)"
Conclusion
Le fait que les ordonnances travail aient supprimé l'alinéa concernant les horaires de travail ne doit pas faire oublier qu'ils doivent être précisés au sein de l'accord, du règlement intérieur ou d'un avenant au contrat de travail. Avec l'évolution forte des modes de travail, il est souhaitable de se poser plus globalement la question des impacts sur tous les documents formels de l'entreprise pour mieux préparer l'avenir. Sans compter que c'est aussi l'occasion de communiquer sur un sujet pas forcément passionnant (les horaires de travail...) de manière pédagogique et positive.
Merci d'avoir lu cet article 😊... Nous verrons le traitement de l’ex-alinéa 1 et les tendances actuelles des accords sur les indemnités et le matériel dans un prochain post.
Merci. Images Pixabay (Titre), Pixabay (Rawpixel) et Pexel (Bruce Mars)
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