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Rapport EuroFound sur les retructurations et leurs conséquences en Europe

Restructuration : une étude récente de l’EuroFound riche en enseignements

Les restructurations qu’on le veuille ou pas font désormais partie de la vie courante des entreprises. Dans un monde au sein duquel la compétition est exacerbée, où une entreprise peut disparaitre du jour au lendemain si elle n’a pas su s’adapter, maitriser cet exercice est devenu incontournable. L’approche doit être menée en minimisant autant que possible les dommages collatéraux et tenter de conserver intacte la motivation et la productivité.

Les restructurations peuvent avoir de lourdes conséquences sur les salarié(e)s. Un dirigeant bienveillant, quels que soient les moyens dont il dispose pour mener à bien ces changements se pose la question de minimiser les impacts négatifs. Il/Elle veut que réorganisation, qu’elle implique des suppressions de postes ou pas, rime rapidement avec dynamisme et avenir et non pas regrets et démotivation.

Mener une restructuration demande anticipation et réflexion, incluant une planification de communication irréprochable. Mais une réorganisation ça se prépare aussi au quotidien, comme nous allons le voir, en incorporant, en amont, une politique managériale bienveillante à la culture d’entreprise.

Que peut-on apprendre sur les façons de mener des restructurations au niveau européen et les conséquences que celles-ci peuvent avoir sur les salarié(e)s de l’entreprise.

EuroFound (Agence de l’Union européenne chargée de l’amélioration des conditions de vie et de travail) vient de publier une étude le 25 octobre 2018 concernant l’impact des restructurations d’entreprise sur les conditions de travail. Ce rapport mérite la lecture des 74 pages qui le composent, riches en informations, afin de voir quelles tendances se dégagent sur ce sujet en Europe. Pour ceux que cela rebute, vous trouverez également un résumé pour décideurs de deux pages. Le rapport s’attache à aborder les aspects primordiaux suivants :

Les conséquences de la restructuration pour ceux qui restent au sein de l’entreprise,Comment une organisation en cours de restructuration peut réduire ou neutraliser les effets négatifs sur les salarié(e)s.Comment l'organisation peut mieux soutenir ses salarié(e)s durant une transition difficile.

Les restructurations : contexte européen

Le rythme des restructurations s’est réduit partout en Europe entre 2010 et 2015 (à l’exception des Pays Bas et du Danemark). Néanmoins, le taux de restructurations récentes (2015) varie fortement en fonction des pays (voir graphe ci-dessous). Au niveau global de l'UE, la baisse de sept points fait passer le taux de salariés ayant subi une restructuration dans les trois dernières années de 37% à 30%. On notera que la France, dans l’ensemble, reste à peu près sur le même rythme entre 2010 et 2015. Elle se place au-dessus de la moyenne européenne avec 37% en 2015.



Les résultats sont contrastés : Les plus hauts niveaux de restructurations sont trouvés pour les pays nordiques. Ceci suggère, selon les auteurs, que les restructurations sont associées à des résultats macroscopiquement positifs. L'argument est que ces pays occupent généralement un rang élevé dans les classements (revenu par habitant, qualité de vie et la qualité de travail, …). On note aussi les fortes baisses du taux de restructurations dans de nombreux États ayant adhéré dans les années 2000 (République Tchèque, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Roumanie et Slovaquie).


Quelles conséquences ?

La Table 3 du rapport (ci-dessous) contient nombre d’éléments qui méritent notre attention. Cette table n’est pas si simple à interpréter et mérite quelques sous-titres.



Dans la colonne Restructuration ("Restructuring") la colonne « Yes » signifie qu’il y a eu une ou des restructurations dans l’entreprise lors des trois années précédentes. Ainsi, sur les lignes regroupant les « Connaissances/organisation de travail » ("Skills/work organization"). Dans la catégorie (ligne) « Accès à une formation payée par l’employeur », 55,6% des salariés étant dans une entreprise se réorganisant ont reçu une formation. En parallèle, seulement 40,2% ont reçu une formation dans les entreprises qui ne se sont pas restructurées durant les trois dernières années. On voit donc que la réorganisation apporte des soutiens au changements dont les salarié(e)s qui restent bénéficient: formations et plus de nouveautés dans le travail.

Le terme « odds ratio » que vous voyez dans le reste du tableau est traduit par « rapport des chances » en français. Ils sont présentés pour 2010 et 2015. Si vous n’êtes pas plus statisticien(ne) que moi, cela mérite une petite explication. Un rapport des chances de 1 veut dire que les paramètre n’ont aucune corrélation. Si le rapport des chances est plus grand que 1, le paramètre a un impact positif. Un rapport des chances de 2 veut dire que cette situation a deux fois plus de chances, statistiquement, d’être rencontrée. S’il est compris entre 0 et 1, la conséquence moins probable. Par exemple, un rapport des chances de 0,33 veut dire que cette situation a trois fois moins de chances, statistiquement, d’être rencontrée.

Par exemple toujours pour la formation, en 2015, cela veut dire qu’un salarié en situation de réorganisation a 1, 298 fois plus de chance d’avoir une formation (« Accès à une formation payée par l’employeur »,) par rapport à un salarié qui ne connait pas de réorganisation. Donc, les salariés qui restent au sein d’une entreprise après une réorganisation bénéficient en moyenne de plus de formations que des salariés qui ne subissent aucune réorganisation.

On notera dans cette catégorie que dans les entreprises ayant subi une réorganisation, ni on ne gagne, ni on ne perd en autonomie (rapport des chances proche de 1). Une entreprise restructurée ne modifie pas ses pratiques de management, ou en tout cas pas celle-là de manière significative.

Par contre, une croissance de la charge de travail est observée sans surprise : 1,6 fois plus de chance d’avoir une plus grande intensité de travail dans les entreprises qui mettent en place une restructuration.

Sans surprise non plus, mais de manière chiffrée, les indicateurs de santé sont en berne dans les situations de restructuration. On notera qu’un salarié en situation de restructuration a deux fois plus de chances (2,339 exactement en 2015) d’être harcelé (bullying et harrassment ne sont pas exactement des synonymes. La nuance est expliquée ici). Cet indicateur a progressé entre 2010 et 2015, de 0,3 points. Les auteurs soulignent donc qu’avec « l’exposition à un environnement ayant un comportement social hostile », ce sont les deux risques principaux exacerbés lors des restructurations. On note au passage que tous les indicateurs de santé se sont dégradés entre 2010 et 2015. Il est dommage qu’il n’y ait pas eu de nouvelles enquêtes de l’Eurofound depuis 2015 pour vérifier si cette tendance s’aggrave, se stabilise ou repart à la baisse.

Les auteurs mentionnent que plus la réduction des effectifs est forte, plus les conséquences sont marquées. Par exemple, les probabilités de subir un harcèlement est en réalité 2,82 fois plus élevé dans le cas d’une forte réduction des effectifs. Par rapport à ceux qui n’ont pas subi de réorganisation. Ceci dit, une probabilité accrue de harcèlement (1,68 fois plus grande) est de tout manière signalée quand le nombre de postes est seulement « légèrement » diminué.

Ces constatations posent la question du mécanisme par lequel une restructuration impacte le taux de harcèlement, et la montée plus générale des comportements sociaux conflictuels.

Les auteurs avancent plusieurs sources potentielles à cette observation :

Une première piste est que toutes les réductions d’effectifs impliquent un changement contraignant et souvent subi. Les circonstances sont donc stressantes en elles-mêmes. Elles peuvent, de plus, offrir des possibilités de mauvaise utilisation des pouvoirs organisationnels, par exemple des managers envers leurs subordonnés.Indépendamment de relations manager/subordonné(e)s, la décision de « qui reste et qui doit partir », dans les restructurations impliquant des pertes d'emploi et des départs involontaires, sont susceptibles de créer des divisions supplémentaires. Dans la mesure où la réduction des effectifs sape la sécurité d’emploi perçue à long terme (le second étage de la pyramide de Maslow…), même pour ceux qui restent, il peut y avoir un impact sur les relations interpersonnelles qui s’instaure, avec un esprit de compétition afin de préserver leur poste.Enfin, toujours selon les auteurs, l’augmentation de l'intensification du travail après la restructuration (vue ci-dessus) peut conduire à une détérioration marquée des relations au travail et créer des conditions favorisant des comportements négatifs voire pathologiques entre collègues.

La suite du rapport met en perspective le fait que l’impact dépend du sexe, de l’éducation et des niveaux de poste comme le résume le tableau 6 page 32 du rapport. Celui-ci présente le rapport des chances de trois situations par rapport à une situation d’entreprise sans restructuration et avec un stress au travail faible. On voit, par exemple, qu’une femme dans le cadre de restructuration, avec un stress au travail élevé a six fois plus de chance de développer des soucis liés au stress. Suivant qu’on n’est en milieu tertiaire (col blanc) ou industriel (col bleu) les managers sont plus ou moins exposés que les personnes sans responsabilité d’encadrement.

On notera que même sans réorganisation, les salariés dans les entreprises « stressantes » vont avoir trois fois plus de chance de développer des symptômes de santé négatifs.


Heureusement, il y a de bonnes nouvelles également (Table 8 du rapport) en regardant les effets de bonnes pratiques qui permettent de réduire l’impact. On peut ainsi voir que le leadership, l’équité, l’entraide (entourage bienveillant) sont des facteurs primordiaux dans ces situations. Le fait d’être informé et consulté avant la réorganisation ou que des élus soient impliqués dans le processus sont des facteurs importants, mais avec un impact nettement moindre selon cette étude. Ces constats sont cruciaux pour un dirigeant désirant initier une restructuration. Si les actions sont équitables et que l’entreprise parvient à mettre cet aspect en valeur, ce sera grandement facilitant pour l’acceptation et le bien être des salarié(e)s. Si le dirigeant peut s’appuyer sur un réseau de managers bienveillants qu’il a favorisé, ce sera un énorme avantage pour mener de manière efficace la réorganisation.



Conclusion

Le rapport souligne plusieurs points :

Les restructurations sont nécessaires dans les sociétés modernes. Elles sont utiles à la croissance économique et à l’adaptation. La législation devrait donc non pas viser restreindre ou contraindre les organisations ayant besoin de se restructurer, mais à faciliter et encourager le traitement responsable et la bonne gestion des restructurations.Les restructurations et la réduction d’effectifs sont associées principalement à des conséquences négatives sur le travail et la santé des salariés restant aux effectifs de l’entreprise. Les auteurs appellent de leurs vœux une législation plus explicite sur les obligations en matière de santé et de sécurité durant les restructurations insistant sur le "devoir de diligence" des employeurs.Malgré les mesures prises pour la décourager, la retraite anticipée reste une stratégie importante de sortie dans les cas de réduction des effectifs. Une alternative valable consisterait selon les membres de l’EuroFound à diriger les efforts et les ressources pour un développement durable des employés en favorisant l’adaptation et l'employabilité à travers la formation.Les auteurs insistent sur l’attention particulière qui devrait être accordée aux personnes vulnérables.

De plus, on peut ajouter que :

L’entreprise prépare au mieux son « agilité » et diminue les impacts négatifs potentiels en favorisant un leadership bienveillant des dirigeants et des managers au quotidien, avant, pendant et après une réorganisation.Mettre en place une prévention des Risques Psycho Sociaux favorise le « change management » en cas de besoin de réorganisation. C'est un réel investissement qui paye en situation normale et qui reste un avantage en situation de réorganisation.L’équité de traitement est centrale au bien-être de chacun pendant les réorganisations... et en dehors. Il faut surveiller les impacts des réorganisations sur les Risques Psycho Sociaux et en particulier tout ce qui tourne autour du harcèlement. Les auteurs pointent de nombreuses raisons d’augmentation de ce risque.

En résumé, si, en tant que leader vous êtes bienveillant et intégrez déjà une bonne prévention au quotidien, il y a de grandes chances que vous meniez avec succès vos réorganisations. Si vous ne l’êtes pas et que vous ne vous dotez pas d’un accompagnement vous permettant de changer de politique avant de penser restructuration, vous impacterez négativement les salarié(e)s et donc le moral ainsi que la productivité à long terme voire pire.

Quelle que soit votre situation, mener une restructuration efficace reste un exercice délicat qui exige des moyens, de l’excellence et une réelle prévention des Risques Psycho Sociaux.


Merci. Image (Titre) Pixabay. Tables et graphiques extraits du document Eurofound cité.

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