L'expression même de Prévention des Risques Psycho Sociaux est anxiogène pour la plupart des entreprises, ce qui est quand même un comble. Comprendre un concept de prévention d'un risque qu'on appréhende mal ou qui fait peur est effectivement difficile. Combien de fois j'ai entendu dire depuis 2010 "Nous, on préfère parler de Qualité de vie au travail, c'est plus simple et au moins c'est positif".
C'est pas faux, mais même si tout cela est un peu complexe, on peut tenter d'expliquer assez simplement le fait que c'est deux sujets différents et complémentaires. Idéalement, ils doivent être traitées dans la continuité l'un de l'autre pour contribuer pleinement à l'efficacité en entreprise.
Mais ça c'était avant...
A l'origine, nombre d'entreprises ont eu du mal avec le traitement des Risques Psycho Sociaux. Il faut dire que le sujet avait de quoi faire peur. Outre la difficulté du concept, une partie est subjective pour les managers de bonne volonté mais peu rompus à cet exercice: comment détecter une personne stressée ? C'est quoi un bore-out ? Les élus de CHSCT en parlaient beaucoup. Il faut dire que c'est souvent un sujet plus intéressant que de discuter de prévention des risques physique. Une raison supplémentaire pour le management de ne pas aborder le sujet est qu'une certaine agressivité se manifestait rapidement pendant les "discussions" sur ces sujets. Pas de chemise déchirée, certes, mais une bonne dose de stress dans la tête à chaque fois. Il était d'ailleurs un peu triste de voir des participants aussi agressifs pour dénoncer des pratiques génératrices de stress dans l'entreprise. Certains Présidents de CHSCT, issus de métiers bien loin de la prévention et de la sécurité en entreprise et qui n'avait pas été formés à ce type de situations ne voulaient plus en entendre parler.
Rapidement, est apparu un sujet nettement plus "sexy" : la "Qualité de vie au travail" (QVT) ou "Bien être au travail" (BET) ou même "Bonheur au travail" pour les plus ambitieux. La différence fondamentale entre QVT et BET m'échappe encore, même si un article très abordable et très instructif a été consacré à ce sujet ainsi qu'à la complémentarité avec les Risques Psycho Sociaux par l'INRS en mars 2016 (Vincent Grosjean & Sandrine Guyot).
En fait, il ne s'agit pas du même sujet, mais d'une continuité, au-delà de la complémentarité. Une entreprise doit s'assurer de mettre en place des politiques efficaces de prévention des Risques Psycho Sociaux pour développer ensuite sa stratégie de Qualité de Vie au Travail. En effet si un salarié en harcèle un autre, que c'est chose connu et que l'entreprise ne fait rien, elle ne joue pas le rôle de préventeur que lui impose le bon sens (et le législateur). Si à coté elle fait un super team building, lance une réflexion sur l’aménagement sympa des bureaux, met en place une politique de télétravail et signe un accord ambitieux d'égalité femme-homme, c'est formidable, mais...
Si on veut construire de manière solide, il faut savoir où on veut aller et commencer par des fondations solides pour monter ensuite au niveau de ses ambitions. On peut considérer qu'il y a trois étapes dans le développement structuré d'une "entreprise humaine" comme on se plait à l'appeler aujourd'hui :
Première étape
Trouver des moyens d'éradiquer de l'entreprise tout comportement socialement et sociétalement inacceptable au point que le représentant de l'employeur peut être poursuivi pour avoir manqué à son "obligation renforcée de moyens". Cette obligation, légèrement adoucie par rapport à la précédente exigence, remplace "l'obligation de résultat" (hors cas de harcèlement...) depuis l'arrêt dit "Air France" dans le domaine de la prévention pour la Santé et la sécurité mentale des salariés. Cette partie est la réelle Prévention des Risques Psycho Sociaux. Le rapport Gollac-Bodier, toujours d'actualité, classe en 6 catégories de tels risques pour la santé mentale des salarié(e)s. Dans ce rapport, on peut lier les catégories avec des conséquences pour le moins "désagréables" telles que stress chronique, repli sur soi, violence, agressivité, troubles (sommeil, digestifs, …), dépression, addiction, bore-out, burn-out, harcèlement (moral ou sexuel), ...
Une entreprise qui approche correctement ces sujets sensibles aura une longueur d'avance et gagnera en crédibilité auprès de ses salarié(e)s. Conduire des diagnostics, les partager de manière constructive, sensibiliser, former, agir, mettre en place des circuits d'alerte, structurer les approches, les adapter à la situation réelle de votre entreprise font partie des nombreuses actions possibles. Si la situation le demande, accompagnement, soutiens physiques ou téléphoniques, prévention tertiaire font partie de la panoplie des contre-mesures déployables. Remplir cet impératif, c'est se donner de la crédibilité sur l'objectif fixé de traduire par des actes le fait que les salarié(e)s sont le capital le plus précieux de l'entreprise. Une chose à garder en tête de toute façon en tant que Responsable : il vaut mieux "prévenir que guérir" dans ce domaine.
Seconde étape
La seconde étape, si/quand la première est implantée et reconnue par les parties prenantes est de mettre en place la Première Phase de l'approche d'amélioration de la qualité de vie au travail.
Cette étape, plus gratifiante que la précédente, consiste à tenter de supprimer tous les "stresseurs chroniques" que l'on peut de la vie en entreprise. Dans cette étape, on n'est plus sur une responsabilité pénale, mais sur du bon sens managérial et de la bonne gestion des ressources humaines de l'entreprise. Cela ne rend pas les choses plus simples pour autant ! Difficile de parler de qualité de vie au travail si l'entreprise ignore, voire encourage, un manager qui s'enferme dans son bureau toute la journée, ne parle qu'aux copains et copines, qui a une reconnaissance déséquilibrée et proportionnelle, non au travail effectué et aux efforts consentis, mais au temps passé à la machine à café avec lui. Ce n'est qu'un exemple et franchement ça n'arrive JAMAIS.
Si on parle de la seule catégorie du "management bienveillant", on peut citer l'exemplarité (qui est la source de toutes les vertues: on ne peut pas attendre des autres ce qu'on est incapable de faire soi-même), le partage de la stratégie/vision, la clarté et respect des rôles, le partage des procédures de travail, la transparence raisonnée de la politique de rémunération, la gestion de « change management » responsable, le développement de l’envie de faire (ensemble), le partage des valeurs, la promotion de l'équité avec une reconnaissance juste et équilibrée, ... il y a déjà de quoi faire ! Cette seconde partie assure normalement le "bien-être dans son job". C'est un niveau fondamental auquel tous/toutes les salarié(e)s aspirent légitimement. Beaucoup n'en demandent pas plus: avoir un travail dans lequel on est respecté, on est reconnu de manière adaptée et on a ce sentiment d'être utile à un collectif ou une entreprise.
Troisième étape
Enfin, la troisième étape est celle dont on parle le plus facilement. C'est probablement l'étape la plus couteuse financièrement et la moins couteuse du point de vue implication-gouvernance. L'implication des managers qui est clef dans les deux premières étapes devient ici moins prépondérant, même si bien sur, on peut trouver des contre-exemples.
C'est le développement du "bien-être ensemble" ou du plaisir d'être ensemble. Vous l'avez compris, partir directement sur ce sujet est très risqué selon moi si l'entreprise n'a pas réalisé les deux étapes précédentes aux yeux d'une bonne majorité des salarié(e)s . L'entreprise risque d'avoir affaire à un sentiment de green-blue-pink-washing. Bien sûr, dans un collectif, on ne peut que très rarement satisfaire tout le monde. Un manager doit accepter que quelques personnes n'apprécient pas tel ou tel point. Et puis, on est bien obligé, malheureusement, de prendre des décisions impopulaires de temps en temps. L'entreprise, même dans les meilleures conditions de qualité de vie au travail, ne sera jamais un camp de vacances.
Dans cette catégorie de développement, on peut rivaliser d'idées et d'innovation, dépendant seulement de ce qu'on peut se permettre financièrement et qui est acceptable par la culture d'entreprise et d'équipe: team building, espaces de travail super cool, baby-foot, soirées, salles de gymnastique, ...
Conclusion
Pour résumer, une stratégie performante d'entreprise moderne et responsable dans le domaine social actuellement se déroule idéalement en trois phases progressives:
Une incontournable stratégie de prévention des Risques Psycho Sociaux.
Le Développement d'une politique de Qualité de Vie au Travail sur les sujets de fond.
Le prolongement de cette politique de Qualité de Vie au Travail en incorporant les sujets "plus légers".
Ces deux dernière étapes, composent les étages supérieurs de la pyramide de Maslow. Elles permettent de promouvoir, estime de soi, innovation, performance. Pour choisir une autre représentation, elles pourraient être résumées avec quelques exemples de thématiques par le schéma ci-dessous.
Images : Pixabay. Merci.
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