Pour de nombreuses raisons, le télétravail attire de plus en plus l’attention des salarié(e)s et des entreprises. Ce mode de travail fait des adeptes de plus en plus nombreux. Nous avons attiré l’attention sur les opportunités et les écueils potentiel de la mise en place d’une telle façon de travailler au sein des entreprises. Il est nécessaire de traiter ce sujet avec le plus grand des sérieux au sein des entreprises qui désirent l’adopter.
Il est vrai que les ordonnances travail, dans un esprit de simplification et facilitation, n’obligent plus maintenant de rédiger un avenant au contrat de travail. Comme Muriel Pénicaud, Ministre du travail l’a rappelé récemment, un simple mail de demande d’un salarié peut suffire pour télétravailler.
Cependant les entreprises ont tout intérêt, pour éviter de nombreux désagréments à mieux formaliser. De plus, l’employeur conserve de nombreuses obligations qu’il ne doit pas sous-estimer. Et enfin, traiter le télétravail comme malheureusement certaines entreprises le font, sans réflexion, sans profondeur, sans recul, les fait passer à côté d’une opportunité stratégique humaine rare. Celles qui choisissent la facilité sont un peu ceux qui regarde le doigt quand le sage montre la lune…(proverbe chinois bien connu) : elles passent à côté de l’essentiel.
Faisons le point sur les derniers développements dans ce domaine pour illustrer le dynamisme de ce sujet d’apparence simple.
Proportion de salarié(e)s désirant télétravailler
L’enquête récente de Opinionway – Horoquartz publiée mi-novembre est intéressante par plusieurs aspects. Elle tente de répondre à des questions intéressantes et finalement assez peu traitées : quel est le profil type des télétravailleurs-euses.
Selon cette enquête, 49% des salariés souhaitent télétravailler. On est sur des pourcentages un peu plus modestes que ceux évoqué par le gouvernement qui parle, lui de 61%. Comme les échantillons ne sont pas clairement exposés, il est difficile de savoir si ces enquêtes ne s’adressent qu’à des personne qui pourraient télétravailler (en écartant les postes de production ou de R&D en laboratoire, par exemple).
Plusieurs constats de cette enquête méritent d’être relevés car ce montant de 49% cache des disparités ou similarités intéressantes. L’enquête étant synthétique, bien présentée et résumée dans le document mis à disposition dans la référence citée, je vous invite à la lire directement pour plus de détails.
Les auteurs mettent en avant que deux facteurs ont une influence très faible sur « l’envie de télétravail » : la taille de l’entreprise et le fait que la personne travaille pour le secteur privé ou le secteur public. On trouve des taux « d’envie de télétravail » très similaire en fonction des situations dépendant de ces deux paramètres. Les variations sont si faibles qu’elles sont probablement non statistiquement significatives sur un échantillon d’environ 2 000 personnes.
De fait, l’enquête donne un ordre des facteurs (du plus influent au moins influent) :
Le niveau de diplôme, Le secteur d’activité, L’âge, Le lieu de résidence, La taille de l’entreprise, Le sexe du salarié, Le secteur public ou privé.
Un portrait-robot du télétravailleur est néanmoins dressé et l’on voit que le télétravailleur est plutôt (de peu) …. une télétravailleuse comme aurait pu le dire Coluche. Voici un résumé de ce profil :
Remote Office
WeDemain a publié à la fin octobre un article intitulé « Télétravail : Cette entreprise qui cartonne a dit ciao au bureau ». L’enthousiasme de la rédactrice de l’article et la description quasi idyllique de la situation attire l’attention.
Le concept de remote-office ("bureau éloigné"). est mis en avant dans cet article. Comprenez par ce terme « 100% du temps salarié en télétravail » et avec une spécificité supplémentaire, dans le cas évoqué, d’un éclatement géographique international.
L’originalité de la situation m’échappe vis-à-vis de pratiques décennales que l’on trouve dans des pays comme les Etats Unis. La géographie impose que des personnes, dans des métiers qui le permettent, travaillent en « home office » en habitant sur la côte ouest, ou dans le middle West pour une société implantée côte est (et inversement).
« Un système qui se développe dans la Silicon Valley où certaines entreprises, principalement de la Tech, comme WordPress ou Buffer, sont passées au remote, et où d'autres laissent le choix à leurs salariés du télétravail partiel ou permanent. »
L’article est clair sur le fait que la première conséquence est que l’entreprise évite ainsi des dépenses. Il est quand même mentionné, qu’ "Au début, les investisseurs étaient frileux, aujourd'hui, le remote aurait plutôt tendance à les rassurer. » Les investisseurs qui connaissent des rapports semblables à celui des buzzy ratios de l’ARSEG savent qu’en France, un poste de travail coute 12 785 €/an en moyenne en 2017. Si on pense que pour une entreprise technologique, on a une moyenne mondiale de 10 000€ par poste de travail, cela signifie que pour 350 employés, cette mesure représente une économie annuelle récurrente de 3,5 Millions d’Euros. L’inquiétude à avoir est donc humaine, pas financière. Selon l’article un meilleur salaire est versé au salarié(e)s et un rassemblement mondial, incluant les conjoints, à lieu tous les 9 mois, ce qui permet de garder un lien d’entreprise et une fierté d’appartenance.
Cette forme de télétravail vient se positionner en « extrême » des modes de travail car il supprime purement et simplement les bureaux, là où les espaces collaboratifs ou même le « flex-office » permettent « seulement » de diminuer le nombre le m² par poste de travail ou le nombre de postes de travail. Cependant, comme nous l’avons vu, si on ne veut pas impacter fortement la communication et la productivité, il faut des espaces variés et qualitatifs. La conséquence est que ce qu’on gagne, éventuellement en passant en espace collaboratif, voire en « flex office » ou « flex work » ou NWOW, peut être perdu par le besoin en espaces innovants et diversifiés. L’entreprise doit trouver l’équilibre humain et financier qui convient à sa culture et sa vision. Ne pas se poser les bonnes questions peut amener au mur. Il n’y a pas de solution miracle, même quand on regarde de près une entreprise comme Google qui semble pourtant avoir la « configuration parfaite » à première vue.
Statistiques récentes
La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a mentionné début octobre sur BFMTV, que le télétravail a connu en 2018 une augmentation de 25% dans les entreprises françaises. Elle a également indiqué que 60% des métiers seraient aujourd'hui aptes à proposer cette pratique professionnelle.
En fait, la lecture un peu plus attentive permet de comprendre que 560 accords d’entreprises ont porté sur le télétravail en 2017. A la date de sa déclaration, 703 accords ont été signés en 2018. Or (703-560)/560=25,5%. Bref, il y a 25% de plus d’accords entre les deux années (YTD), ce qui est un point qui montre effectivement une progression, mais 25% d’accords en plus ne fait certainement pas 25% de télétravailleurs en plus. C’est un effet probablement lié à la facilitation de la mise en place du télétravail. Il sera intéressant de voir des statistiques fiables, mais les vraies enquêtes butent régulièrement sur une définition imprécise du télétravail qui recouvre de nombreuses réalités (télétravail déclaré, « au noir », partiel, total, occasionnel, prescrit par le médecin du travail, « remote », à la maison, en coworking, en bureaux de proximité, …). Le télétravail est en passe de devenir le couteau suisse des modes de travail (voir sujet suivant pour une formule potentiellement supplémentaire).
Les personnes en recherche d’emploi sont de plus en plus nombreuses à considérer la possibilité de télétravailler comme un critère de sélection de l’entreprise pour laquelle ils veulent travailler.
Je me demande, par contre, comment les choses vont se passer le jour où, avant embauche, un employeur exigera de la part de son/sa potentiel(le) futur(e) employé(e) une preuve d’avoir un espace suffisant et équipé pour télétravailler de chez elle/lui.
Télétravail pour limiter les arrêts maladie
Cet été (28 août 2018) un rapport a été remis au Premier ministre et à la ministre du Travail la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn. Ce rapport dit « Rapport Lecocq » (et ici et ici pour un résumé) est (était ?) en cours de discussion. Les déclarations récentes du premier ministre sont-elles liées à une partie des options en cours d’étude dans ce cadre, l’avenir le dira.
En effet, le premier ministre a annoncé à BFM le 14 novembre 2018 que le gouvernement étudie le recours au télétravail pour les salariés ne pouvant se rendre à leur bureau pour des motifs de santé et qui seraient en mesure de (re)travailler à leur domicile, et ce pour limiter les arrêts maladie.
Une mesure « miroirs » est déjà utilisée par des médecins du travail qui proposent le télétravail APRES UN ARRET MALADIE pour permettre à une personne relevant d’un accident grave, d’un burnout, … de revenir au sein de l’entreprise progressivement.
La proposition du premier ministre est clairement différente puisqu’elle vise à écourter les arrêts maladie. Cette mesure suscite déjà de nombreuses réactions. Elle pourrait poser de nouveaux défis d’accompagnement dans la qualité du télétravail si elle était adoptée en augmentant significativement le nombre de personnes fragiles en situation de travail.
N’oublions pas qu’en situation de télétravail le législateur a laissé à l’entreprise l’intégralité de la responsabilité sécurité [physique et mentale] du salarié, même si l’employeur ne maitrise pas vraiment cet environnement de travail.
Conclusion
Une chose est sure, c’est qu’actuellement les lignes bougent et le sujet du télétravail se complexifie pour une entreprise qui veut identifier la bonne stratégie et la mettre en place au bon moment. Le nombre d’options continue d’augmenter. Le télétravail est en passe de devenir incontournable pour des raisons environnementales, sociétales, financières, sociales. Il doit être considéré comme un sujet stratégique afin d’éviter sur le long terme les nombreux écueils et surtout de profiter pleinement des avantages qu’amène ce mode de travail au-delà des évidences.
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