L'Article L1222-9 du Code du travail est très clair depuis Ordonnances Travail de septembre 2017 concernant la sécurité du télétravailleur : « L'accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail ».
Avant de voir d’autres sujets plus importants liés à la sécurité, voyons une étrangeté qui est la "conformité électrique". Si l’intention est louable et que l’électricité est indéniablement source potentielle de danger, pourquoi les accords de résument-ils si souvent la sécurité du télétravailleur à une conformité électrique des installations du lieu de télétravail ?
En contraste, on voit très peu d’accords (moins de 1%) qui exigent une forme de conformité à la législation relative à la prévention incendie, par exemple. Sans parler de toutes les autres sources de dangers auxquels un télétravailleur est "naturellement" exposé.
Survol des accords
Quand on lit les accords récents, on s’aperçoit qu’on parle en fait beaucoup de sécurité, mais plutôt de… sécurité informatique.
La sécurité humaine, elle, se résume assez souvent à un paragraphe consacré de manière plus ou moins approfondie à ce « contrôle électrique » des installations. A la date, 82 % des accords citent ce point. Certains accords précisent qu’il s’agit de l’installation électrique utile au télétravail, d’autres qui étendent l'exigence de conformité au lieu d’habitation dans son intégralité.
Pourquoi cette obsession sur l’électricité ?
La mise en avant de cette mesure trouve sa source originelle dans L’Accord National Interprofessionnel de juillet 2005 (ANI télétravail de 2005). L’Article 7, consacré aux équipements de travail, précise dans son premier paragraphe « Sous réserve, lorsque le télétravail s’exerce à domicile, de la conformité des installations électriques et des lieux de travail, l’employeur fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail. ».
Ce point est une spécificité française. Puisque L’European Framework agreement on telework qui définit le télétravail en juillet 2002 au niveau Européen ne contient AUCUNE allusion à la spécificité de l’électricité, ni dans son article 7 parlant du matériel, ni dans son article 8 sur la santé et la sécurité. Voici donc un point de départ qui a donné naissance à un effet "boule de neige" dans les accords d'entreprise sur le télétravail.
Certains n'ont pas hésité à aller plus oin puisqu'au moins un accord de branche qui a rendu ce diagnostic purement et simplement obligatoire.
L’Accord du 4 mars 2014 relatif au protocole d'accord sur le travail à distance applicable aux organismes de sécurité sociale, organismes de sécurité sociale et d’allocations familiales et praticiens-conseils, du régime général de la sécurité sociale, rentre dans cette catégorie.
Comment ce point figure-t-il dans les accords ?
Le point de la conformité électrique prend plusieurs formes dans les accords d'entreprise. On peut les classer en deux grandes catégories : ceux qui demandes des attestations sur l’honneur et ceux qui exigent un diagnostic professionnel.
Voici quelques exemples.
Attestation sur l’honneur ou formulaire
INTERWAY précise : « Afin de garantir les conditions de travail des télétravailleurs, la conformité électrique du lieu de travail est une condition d’accès préalable au dispositif de télétravail. A ce titre, lors de son passage au télétravail, le salarié attestera, au travers d’un formulaire spécifique (trame en annexe) de la conformité électrique de son domicile (intégrant une prise de terre et un disjoncteur) …»
LES ATELIERS DE VERNEUIL-EN-HALATTE SAS « Le salarié souhaitant pouvoir bénéficier du télétravail devra fournir une attestation sur l'honneur dans laquelle il atteste, d'une part, de la conformité de l'installation électrique de son domicile à la réglementation en vigueur »
La société CAVAC « Le salarié doit fournir, lors de sa première demande de télétravail, une attestation sur l’honneur attestant de la conformité de son réseau électrique et informatique, ... »
A noter que télétravailler.fr ("site gouvernemental pour informer et promouvoir le télétravail sur l'ensemble du territoire ") fournit dans sa « boite à outils » une attestation-type de déclaration sur l’honneur de conformité électrique (logotée Areva, ce qui est un clin d’œil, je suppose 😊…).
Ceci dit, on peut se poser la question de la valeur de telles attestations.
On imagine mal un employeur expliquer en cas d'électrocution de son salarié en plein télétravail (ce qui est semble-t-il est le seul "risque" qu'on couvre par cette mesure) dans sa lettre de réserve (ou face à un juge) « ... Mon salarié est mort, mais pourtant je dispose d'une attestation sur l’honneur de conformité électrique signée il y a cinq ans par ce même salarié spécialisé en logistique industrielle. Vous voyez bien que ma responsabilité n'est en rien engagée. »
Diagnostic professionnel
Les accords, pour la plupart, précisent que ces diagnostics, quand ils sont exigés, sont à la charge de l’employeur.
LA CARSAT NORD-EST exige « Pour le télétravail pendulaire hebdomadaire, une attestation établie par un diagnostiqueur professionnel est remise par le salarié à son employeur préalablement à la signature de l'avenant à son contrat de travail. [...] Sur présentation de factures, l'employeur prend en charge les frais professionnels inhérents à la situation de télétravail pendulaire hebdomadaire à domicile dans les conditions suivantes: le coût réel de la réalisation du diagnostic de conformité des installations électriques"
CPAM DE LA MOSELLE : « L’employeur prend en charge les coûts du diagnostic électrique de l’espace dédié au télétravail y compris en cas de second diagnostic suite à mise en conformité … »
Banque Populaire de l’Ouest « La conformité des lieux et des installations électriques du domicile du collaborateur est une condition de mise en place du télétravail. A ce titre, un diagnostic de conformité devra être réalisé par le salarié auprès du prestataire désigné par la Banque, les frais inhérents à sa réalisation seront pris en charge par la Banque. La non-conformité rend impossible la mise en œuvre du télétravail. »
Aucun commentaire particulier sur cette option, mis à part, à nouveau que la réalité du risque est "un peu" surestimée pour un pays comme le notre, par rapport à d'autres en situation de télétravail pour le télétravailleur. A moins que le but soit de protéger l'ordinateur portable d'une surtension éventuelle comme cela semble, en réalité, être le but originel dans l'ANI de 2005.
Si le risque était réel pour le télétravailleur lui-même, rappelons que le législateur impose que l'évaluation devrait être au moins annuelle (et un inventaire regropé dans un Document unique appelé DU, DUERP, EvRP selon les textes et les entreprises). Nous reviendrons sur ce point au sujet de ce fameux Document Unique d'Evaluation des Risques lors d'un prochain article.
Non conformité
A noter qu'en cas de non-conformité, suite à un diagnostic, les travaux de remise aux normes sont à la charge du salarié. Comme on vient de le voir dans le cas de la Banque Populaire de l’Ouest, l'employeur refuse dans un tel cas la demande de télétravail dans l'attente de la mise en conformité.
Il en est de même, par exemple pour La Caisse Régionale de Mutualité Sociale Agricole de Bourgogne ou la MSA d’Armorique qui écrivent dans l'accord « En cas de non-conformité des lieux, la mise en place du télétravail sera impossible. »
Voilà qui a le mérite d’être clair et logique ! Cela donne alors un -petit- sens à la réalisation d'un diagnostic préalable à l'autorisation de télétravail, même si le risque serait surement "modéré", au pire, en appliquant une analyse sérieuse...
Ce point illustre cependant un principe simple qu'il est bon de rappeler: l’employeur, pour des raisons objectives et fondées (et la sécurité en est une excellente) est en droit de refuser la demande de télétravail d'un salarié. S'il détecte un risque d'accident, il a le devoir de refuser de mettre son salarié, qui reste sous sa subordination durant le télétravail, sciemment dans une situation dangereuse.
Conclusion
La sécurité humaine est un des « parents pauvres » du télétravail quand on feuillette les accords. Il y a de nombreuses (mauvaises) raisons à cette situation. Déjà, le recul et la maturité sur la réalité des risques dans de telles situations, les spécificités, ne sont pas bien maitrisées.
Cela rend le rôle du préventeur délicat et la formalisation encore plus ardue que dans l'enceinte de l'entreprise. L'accord est un outil qui pourrait permettre de réaffirmer l'attachement de l'entreprise à la sécurité de ses salariés. Malheureusement, rares sont les sociétés qui saisissent cette opportunité à la date.
Nous venons de regarder ensemble la mesure principale, au sein des accords d'entreprise sur le télétravail, censée assurer la sécurité du télétravailleur. Vu la faiblesse de l'approche, il faut espérer, pour le bien des salariés et des entreprises, que le nombre d'accidents en situation de télétravail reste très faible. Pas de risque psychosocial, de déplacement de plain (si, si, ce n'est pas une faute...) pied, pas de chute dans les escaliers, ... C'est ce qu'on peut souhaiter à tous pendant le télétravail.
Merci. Images Pixabay.
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