En France, le télétravail a été légalement défini dans la loi de simplification du droit du 22 mars 2012. Ces articles ont été modifiés par l’ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail: "Le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication" (Article L1222-9 du code du travail).
En janvier 2018, le comptoir MM (Malakoff Médéric) a publié une étude qui confirme les avantages de la mise en place du télétravail pour les salariés et les entreprises, mais qui souligne aussi certains écueils dont il semble important que les dirigeants aient conscience.
Sans surprise, le télétravail se développe fortement (même si seulement une petite partie est réellement contractualisée), mais reste très en deçà des attentes des salarié(e)s qui sont 61% à aspirer au télétravail. Ces statistiques simples devraient pousser les entreprises qui ne l'ont pas encore fait à mettre officiellement en place, de manière contractualisée, le télétravail: c'est aujourd'hui un argument fort de recrutement, de qualité de vie et de fidélisation.
On note (voir ci-dessous) qu'un peu plus de deux tiers des télétravailleurs utilisent leur domicile, ce qui pose des questions qu'il est bon d'adresser concernant la sécurité (court et long terme), l'isolement physique, et potentiellement psychologique des télétravailleurs/euses, même si on ne parle que de quelques jours par semaine.
Qu'en est-il justement de la durée et de la fréquence de télétravail ? Un enseignement de l'étude MM est qu' "Il apparaît finalement que la durée de télétravail idéale selon les travailleurs serait de 2 jours [par semaine]. Au-delà, le lien au travail devient plus compliqué. Sa légitimation dans l’entreprise passe donc par l’intégration du télétravail dans une politique de santé et qualité de vie au travail globale et par la formation des collaborateurs."
Voici pour le moins une affirmation pleine de bon sens ! Nombre d'entreprises ont bien noté la forte attente des salariés, mais ne réalisent pas l'analyse que mérite largement ce sujet. En effet, le télétravail est un réel bouleversement de la stratégie de gestion humaine de l’entreprise. En surface, on trouve les avantages et écueils relevés par l'étude mm (voir ci-dessous).
Ces résultats ont déjà de quoi faire réfléchir, même si les salarié(e)s confirment que le télétravail est pour eux/elles un énorme atout motivationnel. Comme le souligne les commentaires de l'étude MM, l'entreprise ne peut pas passer à coté de cette authentique opportunité. Cependant la mise en place doit être accompagnée par une stratégie moyen-long terme afin de transformer cette situattion en un réel succès humain et financier différenciant durablement l'entreprise. Parmi les sujets qu'il faut traiter avec sérieux, on peut citer de manière non exhaustive:
L'approche spécifique de la sécurité physique et mentale des télétravailleurs : l’article L. 1222-9 du code du travail prévoit que l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle est "présumé être un accident du travail". Comment traiter ce sujet efficacement dans le cadre du Document Unique d’Évaluation des Risques (DUER) ? Comment maitriser les risques en situation de télétravail ? Un contrat de co-working bien ficelé de l'employeur avec la société gérant l'espace de co-working, peut être une des solutions pour s'assurer au moins de la sécurité entourant le/la télétravailleur/euse. Bien sûr, la responsabilité de ses salarié(e)s incombera toujours à l'employeur, quelque soit ce contrat). Mais y pense-t-on dans toutes les entreprises dans cette situation ? Qu'en est-il des 64% de personnes qui télétravaillent chez elles ?
Les conditions réelles de [télé]travail : les télétravailleurs sont-ils dans les bonnes dispositions mentales et dans un environnement physique propice à donner le meilleur d'eux-mêmes ? C'est au moins une question de productivité qui se posera tôt ou tard, même si le collaborateur donne le meilleur de lui-même durant le télétravail, s'il est obligé d'avoir son PC sur les genoux, assis sur un lit pour travailler, c'est probablement mignon, mais pas très efficace pour réaliser une infographie, faire des diapos, des tableaux croisés dynamiques ou répondre à ses mails.
La préparation et la formation de tous les acteurs: formations spécifiques à la situation de télétravail (techniques, éloignement, management à distance, …). Le travail à distance n'est rien de nouveau, mais le télétravail ouvre grand des vannes pour des populations peu rompues à ce type de situation.
Quelle est la politique d'intégration au sein des équipes de l'entreprise pour les nouveaux arrivants? Comment s'assurer d'une bonne gestion d’équipes, de l'ambiance, et du partage de valeurs lorsque les membres dont le travail est inter-dépendant ne se croisent potentiellement qu'un jour par semaine maximum. Le on-boarding est-il qualitatif au sein de votre entreprise ou juste une formalité qu'on se sent obligé de remplir ? La qualité du parcours d'intégration dans l'entreprise et les équipes est une clef du succès à terme. Le concept "d'intégration continue" peut également devenir encore plus attractif avec des parcours de networking et de découverte.
Combien de salarié(e)s , utilisent-ils le télétravail pour fuir le collectif ? Ou inversement, que le collectif est heureux de ne plus voir qu'au maximum trois jours par semaine ? Ne pas approfondir les motifs réels de la demande de télétravail peut conduire à une bombe à retardement au niveau des Risques Psycho Sociaux.
Services en télétravail: Il est souhaitable de se poser la question d'incorporer dans la politique d'entreprise un niveau officiel, mesuré et raisonnable, de services aux salarié(e)s ainsi que la mise en place d'un support spécifique pour les télétravailleurs (ou, au moins, de rappeler l’existence des supports existants). La question se posera tôt ou tard. Certains vont probablement trouver des moyens officieux via notes de frais et autres astuces et créer une inégalité de traitement. Celles-ci risquent, là aussi, de réserver des difficultés mémorables au Président de CSE quelques mois plus tard si on n'aborde pas cette réflexion en amont.
Optimisation des espaces de bureaux « libérés ». Un sujet à part entière ! Seulement un quart des dirigeants cite ce point comme un bénéfice. Ce n'est pas une surprise car il s'agit d'un sujet délicat, voire tabou. En fait, c'est à la fois un bénéfice et un inconvénient. Nous développerons plus ce point sensible à un autre moment. Cependant, il faut savoir que selon l'étude ARSEG, le coût moyen d'un bureau en France en 2017 est d'approximativement 12 500 Euros (annuellement). Même s'il faut soustraire certains couts qui restent présents en situation de télétravail dans ce calcul, il a de quoi attirer l'attention. Le fait que les sites tertiaires soient moins utilisés/fréquentés augmente mécaniquement l'impact des coûts non proportionnels per capita. Le coût global reste potentiellement assez stable (seulement si l'entreprise ne met pas d'espaces de co-working de proximité à disposition ou n’octroie pas d'indemnités aux télétravailleurs). A contrario, le coût per capita d'un site peut augmenter de 20-40% selon le nombre de jours de télétravail et le ratio de télétravailleurs/euses. A terme, traiter cette situation avec un accompagnement au changement de qualité est incontournable. Se limiter à discuter mobilier, moquette, etc. est loin d'être suffisant pour relever un tel défi. D'où tous les "concepts" que l'on voit fortement débattus actuellement : Desk Sharing, Flex Office (total ou partiel), Flex Work, Travail Agile, l'environnement dynamique et le petit dernier : le NWoW (New Way of Working) qui propose (déjà) de gommer les raisons pour lesquelles le "Flex" ne ferait pas l'hunanimité.
Cette réelle opportunité qu'est le télétravail ne s'adresse qu'à une catégorie de salarié(e)s. Pour les entreprises ne proposant que des emplois tertiaires, le problème se pose peu. Si, en plus, le site de l'entreprise considéré est localisé en région parisienne, pas besoin d'hésiter: foncez ! Mais il reste nombre d'entreprises en France qui reposent (aussi) sur des emplois industriels, de production, de logistique ou de recherche et développement. Souvent, ces emplois sont difficilement conciliables avec des journées de télétravail (même si on peut toujours autoriser des journées dites "administratives" pour certains emplois). On crée donc, dans ces entreprises, une distorsion de traitement supplémentaire sur des populations souvent déjà en tension. Mal pensé ou communiqué, cela peut avoir des conséquences sur la motivation globale. Là aussi la réflexion et la communication interne vont être les clefs du succès.
Conclusion
Le fait d'inscrire le télétravail dans la logique transverse de la stratégie d'entreprise de Santé, Sécurité et de Qualité de vie au travail est donc tout simplement une approche incontournable pour les entreprises qui réfléchissent de manière stratégique. Cette approche permet de sécuriser tous les acteurs et de capitaliser sur le maximum de bénéfices, pour les salarié(e)s et l'entreprise, tout en évitant les nombreux écueils qui peuvent gâcher cette opportunité. Cette approche PLURIDISCIPLINAIRE peut être idéalement réalisée avant la mise en place du télétravail, mais rien n'empêche, après la mise en place et à travers un retour d'expérience, de définir les nouveaux axes stratégiques nécessaires à la pérennité des mesures.
Dessins (vectoriels) personnages diapositives: Freepik (conçus par IconBestiary, RawPixel.com ou Vectorpocket et modifié avec Inkscape). Merci.
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